Par Charles Mapinduzi
Hier, ils étaient frères, ou plutôt comme frères. Dès son avènement à la tête du pays, contre la volonté de la plupart, Félix Tshisekedi s’est vite tourné vers le dirigeant rwandais que certains Congolais n’hésitent toujours de considérer, à tord ou à raison, comme le diable incarné. Sur celui-ci pèsent d’interminables soupçons de la mort de plusieurs milliers des citoyens dans l’est du pays, contrée qui partage une importante frontière avec le Rwanda.
Paul Kagame qui arrivait rarement ou presque pas souvent au Congo sous Joseph Kabila suite aux brouilles diplomatiques qui éloignaient déjà les 2 États, bénéficiera d’un accueil digne de son rang à Kinshasa lors des obsèques d’Étienne Tshisekedi en 2019. Les ovations en faveur du leader rwandais avaient cloché dans l’opinion. Pour les Congolais, c’était indigne de l’UDPS, cet ancien parti politique d’opposition qui avait combattu jusqu’à la lie toutes les manoeuvres qui tendaient à rapprocher Kinshasa et Kigali en faisant d’elles 2 nations soeurs au regard de la tumultueuse histoire qui les liait.
Pas seulement, car Félix Tshisekedi ne s’arrêtera pas là. Des rencontres bilatérales à Goma au Nord-Kivu ou encore à Gisenyi au Rwanda, des accords économiques, des visites programmées ont successivement suivi, de sorte que le nouveau régime de Kinshasa a accepté le raffinage de l’or congolais par le Rwanda au Rwanda. Ça devenait de plus en plus sérieux entre les 2 États, se dit-on. Mais, des voix ne cessaient de s’élever plus haut pour s’opposer à la démarche du fils du sphinx. Cependant, Félix Tshisekedi voulait coûte que coûte changer de narratif : si Joseph Kabila avait échoué avec Kagame par la confrontation, lui a tenté de le gagner par la main tendue. C’était une erreur de casting.
Car, ne dit-on pas que laver les mains du signe revient à gaspiller du savon? En effet, la démarche de Félix Tshisekedi était une idée osée. Cependant, le chef de l’État congolais avait oublié un tout petit détail qui allait plus tard lui devenir une épine sous le pied : quand on mange avec le diable, on doit se munir de longues fourchettes. Depuis sa prise de pouvoir à Kigali en 1994 ou mieux en 2000, Paul Kagame n’a arrêté de nourrir des ambitions expansionnistes qui visent à décapiter la RDC en annexant une partie au Rwanda. Et rien au monde ne pourrait le détourner de ce projet auquel il tient fort.
Par ailleurs, le bradage des richesses en République démocratique du Congo ainsi que la persistance de l’insécurité dans sa partie orientale profitent largement au pays de mille collines et à tous ces États qui contrôlent le régime rwandais. Qui ou qu’est-ce qui pourrait donc détourner Paul Kagame d’une si noble mission pour son pays? Kabila a essayé mais n’a pas pu. Tshisekedi aurait réussi par la main tendue alors que Kigali n’entend que le langage des armes ?
En novembre 2021, alors que les rapports sont aux bons fixes entre les 2 capitales, Paul Kagame active sa seconde face contre Félix Tshisekedi : le M23 défait depuis 2013 refait surface et s’en prend aux localités congolaises en territoire de Rutshuru. Plusieurs preuves attestent qu’il s’agit d’une rébellion soutenue entièrement par Kigali. Le président congolais tente de raisonner Paul Kagame mais visiblement ce dernier est totalement décidé de poignarder dans le dos son propre « frère ». Très vite, c’est la guerre fratricide entre les 2 chefs d’État : le gouvernement congolais accuse le Rwanda d’être le parrain du M23, des accusations que Kigali rejette tout naturellement.
Peu à peu, l’amitié tourne à l’affrontement. Du haut de la tribune des Nations-Unies en marge de la 77e Assemblée générale, le président congolais ne passe plus sur le dos de la cuillère. Devant le monde entier, il accuse Paul Kagame d’être le diable pour son pays. Du coup, la guerre qui était larvée est dès lors portée sur le ring. C’était le début de la démonstration de forces et des biceps. Mais, jusqu’où iraient-ils désormais, ces anciens frères devenus ennemis jurés ?
Rusé, Paul Kagame est doué dans l’hypocrisie. Lors de la relance des pourparlers entre le gouvernement congolais et les groupes armés le lundi 28 novembre dernier, il a semblé se ranger du côté congolais : « Nous devons nous attaquer pour toutes à la cause profonde de l’insécurité dans l’est de la RDC. Nous félicitons la réponse rapide pour tenter de rétablir la paix dans l’est de la RDC. Le Rwanda est engagé dans ce processus« , a-t-il dit par visioconférence.
Mais, à peine 48 heures seulement après, le dirigeant rwandais n’était plus le même. Devant son Parlement, Paul Kagame ne s’est pas montré tendre envers Félix Tshisekedi et envers la République démocratique du Congo.
« Non pas qu’il avait remporté les premières élections comme nous le savons, donc s’il essaie de trouver un autre moyen de reporter les prochaines élections. Je préférerais qu’il utilise d’autres excuses, pas nous », lâche-t-il en s’adressant à Félix Tshisekedi
Des propos qui n’ont manqué pas d’énerver le régime de Kinshasa, c’est évident. Encore qu’il s’agit d’une parmi de nombreuses autres provocations qui visent le Congo et que le président rwandais a tenues devant les élus de son pays.
Mais, il faut dire que jusqu’ici, ni Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement, ni Christophe Lutundula des affaires étrangères, ni personne n’a réagi à ce sujet. Kinshasa a-t-il accepté d’encaisser ces salves ou choisit-il de répondre l’imbécile par le silence, se demande-t-on.
De l’avis d’un analyste, le gouvernement congolais peut décider de laisser passer les délires d’un dirigeant devenu paranoïaque et dont le pays continue d’entretenir des atrocités en RDC. Un peu comme on le dit, le chien aura aboyé et la caravane sera passée. Autrement, répondre l’imbécile par le silence.
Ou d’autre part, le régime de Kinshasa peut se refuser de réagir pour ne pas ramener la question de la vérité des urnes à la une de l’actualité. L’opposition politique ainsi que des acteurs de la société civile ont toujours dénoncé un hold up électoral opéré en décembre 2018 en RDC. Ils sont persuadés que Félix Tshisekedi a usurpé d’un pouvoir qui n’est pas le sien à la suite d’un accord obscur signé entre lui et Joseph Kabila. La déclaration de Paul semble donc rejoindre les accusations de ces acteurs congolais. Si donc dans une certaine mesure, le régime congolais reconnaît intérieurement que des conciliabules avaient présidé à l’élection de Félix Tshisekedi, il pourrait toujours décider d’encaisser les paroles du président rwandais qui, dans ce cas, n’auront décrit qu’une stricte vérité.