Par Lembisa Tini (PhD)
La toute récente mise à jour (l’addendum) du dernier Rapport (juin 2022) du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC défraye la chronique à Kinshasa. En effet, il y est fait état de « preuves solides » de la présence militaire rwandaise sur le territoire congolais et contre les intérêts sécuritaires de la RDC. Très vite, le Porte-parole du Gouvernement congolais crie à la « victoire diplomatique » de Kinshasa. Pour avoir maintes fois lancé l’alerte, depuis novembre 2021, sur des actes d’agression certifiés par les experts onusiens, je me permets d’attirer patriotiquement l’attention de mon Gouvernement sur la nécessité de mieux ficeler ses dispositifs diplomatiques pour espérer remporter la victoire, non encore acquise.
Quelques éclaircissements
De un. Le Groupe d’experts des NU présente annuellement deux rapports au comité du conseil de sécurité sur la RDC. Il s’agit du rapport à mi-mandat et du rapport final, qui sont rendus publics. Excepté les mois au cours desquels sont présentés ces deux rapports, le Groupe d’experts procède mensuellement à des mises à jour (addenda) revêtant un caractère confidentiel puisqu’uniquement destinées aux membres du conseil de sécurité.
Les rapports final et à mi-mandat donnent généralement lieu à des réunions formelles de cet organe des NU. Ce qui n’est pas le cas pour les addenda qui ne peuvent faire l’objet d’une session du conseil de sécurité qu’à la demande expresse d’un Etat membre. La RDC n’y siégeant pas, pour l’heure, il lui faudrait plaider auprès des membres du conseil pour obtenir une réunion formelle axée sur l’examen de la dernière mise à jour du Rapport de juin faisant état de la présence et des opérations militaires du Rwanda sur le territoire congolais.
Selon des sources diplomatiques basées à New York, aucune réunion du conseil de sécurité n’est encore – programmée sur la situation en RDC, à la lumière de cet addendum. La diplomatie congolaise doit à cet effet s’employer plus activement pour obtenir la convocation d’une session formelle dudit conseil. Sinon, cet addendum risque de ne pas être suivi d’effets, au grand dam de Kinshasa. A l’instar de tant d’addenda inconnus du grand public.
De deux. Les experts onusiens établissent les faits dont la qualification relève de la responsabilité du conseil de sécurité. Une chose est de noter que ces experts font état de « preuves solides » des opérations militaires du Rwanda sur le territoire congolais. Une autre est, pour Kinshasa, de persuader les membres du conseil de sécurité de considérer ces opérations militaires comme des actes d’agression. Ceci n’est pas une sinécure. En effet, les motivations des actes constatés, blâmables sont-ils, peuvent susciter, au sein du conseil, des perceptions contraires au bon sens, du reste d’une relativité sans limite. Le Rwanda, à la suite d’Israël, inscrit sa ligne de défense sur le très controversé « droit de légitime défense préventive ».
« Le Groupe (d’experts) a en outre obtenu des preuves solides de la présence et opérations militaires menées par des membres des Forces Rwandaises de Défense (RDF) dans le territoire de Rutshuru, où des membres de RDF ont attaqué les positions des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et fourni son soutien aux opérations M23/ARC », peut-on lire dans cette récente mise à jour. Pendant que la RDC insiste sur le « fourni soutien aux opérations M23/ARC », le Rwanda insiste sur son obligation et sa détermination de combattre les FDLR, actives dans l’Est de la RDC, y compris sans l’accord de cette dernière.
La vérité objective n’ayant pas de portée absolue dans l’analyse stratégico-diplomatique des faits sociaux, la RDC devra peaufiner ses éléments de langage selon une pluralité de rationalité pour réussir à persuader suffisamment les membres du conseil de sécurité de condamner le Rwanda et de l’obliger de changer radicalement sa politique à l’égard de son pacifique voisin congolais.
En sus, les experts disent aussi avoir documenté, côté RDC, des « propos de haine et d’incitation à l’hostilité et à la violence ciblant les populations rwandophones, entraînant parfois des actes de violence contre les membres de ces populations ». Il y est indiqué des « alliances » forgées par certains membres des FARDC avec des groupes armés engagés, sur cette base, dans la lutte contre le M23. Ces genres de détails ne doivent pas échapper à l’extrême attention des analystes du Gouvernement sous peine d’exposer le pays à une verve du Rwanda susceptible de réduire à quia.
De l’anticipation
Dès lors, la RDC ferait œuvre utile de prendre urgemment des mesures dictées par les circonstances pour se mettre à l’abri d’éventuelles perceptions négatives de membres du conseil de sécurité, concernant des actes négatifs posés par des citoyens congolais identifiés dans l’addendum. Sur le plan diplomatique, Kinshasa doit convaincre l’Afrique de la soutenir dans cette lutte au conseil de sécurité. A cet effet, il doit impérativement négocier et obtenir le soutien des A3 (les trois pays africains siégeant présentement au conseil de sécurité, à savoir : le Gabon, le Ghana et le Kenya). Ces préalables lui permettront de mieux s’y prendre face au lourd défi de faire vibrer les cinq permanents du conseil de sécurité.
L’immensité de la tâche suggère de ne pas chanter la victoire avant le temps.