Par Michel BUTANGAZI
Un débat perverti ! Beaucoup de ceux qui sont dans l’entourage du président Tshisekedi pensent que « le tribalisme a gagné ». Ils ont tort. La crise socio-politique que traverse la RDC aujourd’hui, semblable à celle des années 90, n’a en rien fait triompher le modèle tribaliste. Ces caciques du nouveau régime Tshisekedi confondent prise de parole des « minorités » (toujours stigmatisés depuis le massacre des Lubas au Katanga), propagande d’activistes médiatiques (toujours plus attirante pour les médias), crise dans les espaces urbains et coups de boutoir frontistes avec une mutation en profondeur de la société congolaise (zaïroise avec l’unité nationale prônée par le feu président Mobutu). Si la RDC est multiculturelle désormais, elle n’est ni ethno-communautariste ni tribaliste comme rêvent certains ténors du pouvoir en place.
L’idée n’est pas neuve. Depuis l’avènement du président Tshisekedi en 2019, nombreux observateurs affirment que « le tribalisme a gagné du terrain », et, en 2020, des analystes avertis en étaient tout autant persuadés, avec le colportage du conflit Katango-kasaïen et les récentes nominations tant au gouvernement, les cours et tribunaux que dans les entreprises publiques. Pour eux, la RDC est plongée au cours de ces deux dernières années dans un tribalisme omniprésent. Les adeptes de l’Udps d’une manière générale et quelques lubas en particulier…ont imposé leurs vues et un combat « communauté (tribu) contre communauté (tribu) » au reste de la nation.
La situation est pourtant plus complexe, et le bruit autour de ces derniers, comme la loi sur la congolité, des discours de haine viscérale vendus dans certains médias proches du pouvoir, cachent une réalité bien différente : comme, face à eux et à leur instrumentalisation de la peur et de la montée des racismes (et des haines ethno-tribales voire religieux contre les prélats catholiques), il n’y a plus de mouvement cohérent ni d’activisme antiraciste dynamique, on a le sentiment que leur vision du pouvoir l’a emporté sur l’unité nationale. Ils se trompent de ce pharisaïsme !
De fait, le tribalisme n’est pas notre système de pensée en RDC, mais beaucoup plus une réaction épidermique d’un groupe d’intouchables qui choisissent de se replier entre eux par temps de crise sociale qui bat son plein. Mouvement qui en d’autres temps a même été validé comme une posture de « survie », par exemple au Katanga du temps du gouverneur Kyungu wa Kumwanza, dans l’empire BalubaKat pour les minorités kasaïenne ou Luba considérés comme les Bilulus par cet ancien gouverneur qui voulait régler des comptes politiques à Etienne Tshisekedi nommé Premier ministre par le maréchal Mobutu (un poste qui revenait au Grand Katanga Ngunz-a-Karl Bond). Ce n’est pas cela qui est dénoncé dans le « tribalisme » en marche en RDC aujourd’hui par le régime Tshisekedi. C’est une posture du chacun pour soi, et contre les autres, voire l’importation par certains des conflits ethniques, comme celui dans le district de Tshangu à Kinshasa (ndl Kimbanseke, Kingasani, N’djili..). On dénonce le tribaliste désormais comme un « faux congolais » qui défend aveuglement tout au nom de sa tribu.
L’accusation du tribalisme resurgit dès qu’un groupe se mobilise pour dénoncer une situation liée aux discriminations et au racisme. Une manière de récuser toute revendication identitaire. Un débat d’autant plus perverti que les identitaires de Lamuka et de la société civile ont choisi un registre similaire pour revendiquer leur fierté « d’être congolais d’origine et prêts à défendre la patrie au prix de leur sang ».
Depuis quelques semaines, depuis la déclaration officielle de la candidature de Félix Tshisekedi aux élections de 2023, la concurrence politique sur ces enjeux et l’absence d’un débat républicain sur le bilan à présenter au peuple, être désigné comme un congolais non originaire et non de père et de mère est devenu l’un des stigmates forts de la vie politique congolaise.
Deux longues années de ce régime Tshisekedi n’a apporté qu’une victoire passagère aux plus ultras. Mais le baromètre est faussé. De fait, nous savons que si les discriminations et le racisme étaient réellement combattus par le président Tshisekedi lui-même, cette « tentation du repli » serait moindre. A contrario, plus d’un observateur peut trouver dans l’agir du président Tshisekedi des signes d’une hausse vertigineuse du « tribalisme » en RDC. Pour autant, nous entrons dans une période de turbulences évidentes, de conflits ethno-communautaires et tribaux issus de « passés qui ne passent pas », et les « minorés et/ou discriminés » dont les revendications ne sont pas entendues vont de plus en plus revendiquer l’égalité des droits et libertés fondamentales reconnus par la constitution. Soit le président Tshisekedi qui est le garant de la nation et d’autres élites politiques dans leur diversité répondront à cet appel, soit il (ils) refusera (ont) d’en tenir compte, et dans ce cas l’attrait tribaliste progressera.
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