Par Gédéon ATIBU
Depuis Bill Clinton jusqu’à Joe Biden, cinq présidents se sont succédé à la Maison Blanche et, quelle que soit leur couleur politique, Paul Kagame, au pouvoir depuis 2000, garde ses entrées à Washington, au State Department et surtout bénéficie d’un soutien indéfectible à la Defense intelligence agency (DIA), même quand le pouvoir rwandais est accusé de soutenir des mouvements rebelles qui déstabilisent l’est de la République démocratique du Congo.
Pourtant cette continuité de politique américaine vis-à-vis du Rwanda n’a été rendue possible que dans le cadre global d’un nouveau contexte géopolitique de l’unilatéralisme américain faisant suite à la chute du Mur de Berlin et à l’implosion et à la disparition de l’Union Soviétique.
La guerre de l’Ukraine et ses retombées politiques sont en train de modifier tout le décor de géopolitique internationale, en redimensionnant au fil des mois le monde en deux blocs. Les nombreuses manifestations pro-Poutine en RDC couplées à l’émergence d’une opinion anti-occidentale, les récentes prises de position de la Monusco en faveur du Rwanda qui a pourtant envahi le territoire congolais et occupe jusqu’à ce jour la ville stratégique de Bunagana puis les manifestations anti-Monusco subséquentes signalées dans plusieurs villes congolaises ont sonné l’alarme auprès des services américains qui sentent bien venir les menaces du péril rouge russe et chinois.
Dans ce contexte précis, le projet de loi « H.R. 7311 Countering Malign Russian Activities in Africa Act » pour contrer l’influence et les activités malveillantes de la Fédération de Russie et de ses mandataires en Afrique et pour menacer tout gouvernement africain tenté de s’arranger derrière la Russie n’a pas produit des résultats escomptés. Cette loi datant de mai 2022 ne suffit plus à contrôler le cours des événements mais bien au contraire , elle contribue à attiser davantage la colère de l’opinion africaine qui ne pardonne plus de se voir constamment infantilisée par la première puissance mondiale.
Et nous croyons comprendre que les dirigeants américains très regardants sur la marche du monde ont dû tirer les leçons de ce fiasco dans leur usage de méthodes hardpower. Ils ont été contraints de les combiner au soft power qui procède moins par l’usage du bâton que par une politique de dialogue et de renégociation avec les régimes africains. D’où le sens profond de l’offensive diplomatique d’envergure qui s’annonce avec de nombreux voyages des officiels américains auprès des gouvernements africains.
Le voyage en Afrique et en RDC d’Anthony Blinken, l’actuel Secrétaire d’Etat américain et les récentes déclarations menaçantes vis-à-vis du Rwanda de la part de Robert Menendez, sénateur démocrate très proche de Biden et dirigeant la commission sénatoriale des Affaires étrangères, semblent être des signes avant-coureurs du changement structurel de la politique africaine obsolète de l’administration américaine soufflant le chaud et le froid, fermant les yeux sur les tueries par millions et les pillages systématiques du Congo par un régime rwandais d’un autre âge mais à qui elle accordé soutien indéfectible et aides en millions de dollars pour l’équipement de son armée.
Si hier les dirigeants américains pouvaient, sans crainte, fermer les yeux sur Kagame et sur ses méthodes autocratiques et sanguinaires, aujourd’hui ce n’est plus possible. Avec le retour progressif de deux blocs dans la gestion de la politique internationale, tout peut désormais arriver en RDC, y compris son basculement idéologique et géostratégique dans l’autre camp.
Les dirigeants américains ont beau croire tenir sous leur contrôle les dirigeants congolais rendus comme de simples exécutants de leur triste politique de chaos organisé et de pillage des ressources naturelles, la grogne de plus en plus amplifiée du peuple congolais semble bien ouvrir plusieurs options futures dont celle de composer avec les adversaires du bloc occidental. Jamais la RDC ne s’est autant retrouvée en position de force pour dicter ses volontés souverainistes et pour affaiblir ses ennemis sous-régionaux. Faut-il encore qu’elle sache bien identifier ses propres intérêts géostratégiques et qu’elle sache fixer désormais, elle et elle seule, les conditions de redistribution des cartes pour remettre le grand ex-Zaïre à la place qu’il mérite dans les concerts des nations.