Par Gédéon ATIBU
Le président congolais vient de signer à Nairobi ce lundi 20 juin un document conjoint avec quatre présidents de la communauté de l’Afrique de l’Est ( Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda et Sud Soudan) ordonnant un cessez-le-feu immédiat des hostilités et le retrait des M23 des zones conquises dont Bunagana.
Il faut surtout éviter de se laisser distraire par ce communiqué officiel et prendre en compte qu’il y a eu deux étapes de pourparler durant cette rencontre de Nairobi à savoir : celle du huis clos tenu uniquement entre chefs d’état et/où les choses sérieuses ont été décidées et la deuxième avec les ministres regardant des discussions directes sur l’agression de la RDC par le Rwanda ainsi que l’activation de l’option militaire tel que convenu au dernier conclave du 21 avril dont l’entrée d’une force régionale en Ituri, Nord et Sud Kivu. Ce qui revient à dire qu’il y a beaucoup de non-dits dans le document lu à l’issue dudit conclave.
Voici pourquoi une telle décision est une gravissime erreur stratégique contre les intérêts vitaux et la sécurité de la RDC :
Selon la note de presse de la présidence kenyane convoquant ce troisième conclave, il a été question de statuer essentiellement sur le dialogue intercongolais du processus de Nairobi regardant la situation de paix et de sécurité dans l’Est de la RDC. En d’autres termes il s’agit pour les FARDC de déposer les armes pour passer à un dialogue inter congolais et à des négociations.
Mais négocier sur quoi? Le Rwanda derrière le M23 a sûrement repris le cahier de charges reprenant les principales exigences présentées le 22 avril dernier par les M23 au gouvernement congolais à savoir :
a) l’engagement du gouvernement congolais de la création d’une Zone économique pour le Rutsuru ;
b) la réinsertion et nomination au grade des généraux et officiers supérieurs des certains cadres combattants M23 dans les FARDC et enfin
c) la nomination des cadres de leur bureau politique dans l’administration et les entreprises publiques congolaises.
Accepter de telles exigences c’est signer la défaite humiliante de la RDC devant un groupe qualifié de Terroriste par le même gouvernement congolais. Est-il logique pour un gouvernement sérieux de dialoguer avec des terroristes qui sont en réalité des militaires des pays voisins vêtus en tenues militaires congolaises ? Si on ordonne à ces M23 de se retirer cela veut dire que leurs commanditaires se trouvaient à table avec Tshisekedi à Nairobi, et dans ces conditions comment peut-on faire foi à des partenaires qui te poignardent dans le dos?
Un pays défend ses frontières en équipant solidement ses forces armées et en faisant la guerre si nécessaire. Aller négocier avec les criminels de guerre est un acte de haute trahison. L’organisation de l’Etat voudrait que l’armée de l’Etat, les services de renseignement de l’Etat soient tous mis en œuvre pour assurer la défense militaire du territoire ainsi que la sécurité des personnes et des biens.
Pour revenir sur cette force régionale devenue le cheval de bataille du président Kenyan et des partenaires de la sous-région, le président congolais a largement tort d’exiger seulement la non participation de l’armée rwandaise, ignorant que les Rwandais agissent présentement dans une parfaite coordination d’action avec l’Ouganda.
Si la RDC était un pays sérieux, elle n’appellerait jamais un autre Etat agresseur à sa rescousse pour résoudre ses problèmes sécuritaires. Aucun congolais à Kisangani ou ailleurs n’est prêt à imaginer un seul instant que l’armée ougandaise peut être une armée de paix.
La grave erreur stratégique de Felix Tshisekedi relève surtout de son manque de vision en perspective de l’actuelle crise à l’Est. En effet cette crise politico-militaire doit être mise en parallèle avec ce qui s’était passé en 1997 au Zaïre avec l’entrée de l’AFDL. En demandant aux FARDC de déposer les armes pour faire de tout l’Est congolais « une zone neutre démilitarisée» et en acceptant le déploiement de cette force régionale composée des armées ennemies, le gouvernement congolais ouvre ses frontières à un plan plus vaste peaufiné par tous ces membres de l’EAC consistant à vouloir déposséder les congolais du contrôle d’une large bande de terre ( cfr l’exigence de la Zone Neutre de Rutsuru mentionnée plus haut) et dans laquelle chacun de ces pays signataires pourra tirer de larges profits économiques.
Le même plan prévoit également d’aller plus loin vers Kinshasa avant 2023 pour vouloir contrôler le processus électoral de 2023. Goma ne sera pas le point de chute. Les signataires prévoient d’aller plus loin. Raison pour laquelle ont été découvertes ces importantes caches d’armes et de munitions la semaine dernière dans le cimetière de la ville de Kisangani. Cette ville-charnière à comprendre sur le plan militaire comme le principal verrou avant de prendre Kinshasa, la capitale et siège du pouvoir et des institutions.
En retirant du théâtre des opérations l’armée congolaise pourtant surmotivée à vouloir en découdre avec les ennemis du Congo et ce, avec un large appui du peuple congolais rangé derrière son armée, le président congolais vient de commettre une erreur stratégique très très grave, semant des doutes sur ses véritables mobiles politiques. Car une de clauses de la création de cette large zone non militairisée contient curieusement des visées géopolitiques très claires : Tout le Kivu, pendant 10 ans renouvelables, sera sécurisé pour le libre échange et la libre circulation des pays signataires de cet accord. Une dénomination euphémique pour ne pas parler de la balkanisation de la RDC ( ratifiée officiellement par le numéro un congolais)
Notez bien que les armées de la plupart de ces pays ( Rwanda, Ouganda, Burundi et Kenya) sont déjà opérationnelles sur le territoire congolais sans jamais réussir à faire cesser les hostilités et les tueries. Et cette fois-ci le fait de poser la signature présidentielle sur ce document conjoint équivaut à accorder officiellement aux ennemis de la RDC, un blanc-seing qui leur manquait pour avancer leurs pions et consolider leurs visées expansionnistes et prédatrices sur la RDC.
Ce théâtre politique de mauvais goût de ce lundi 20 juin a été bien organisé en synchronisant cette signature de Nairobi avec la cérémonie très « solennisée » de la remise de la dent de Lumumba à Bruxelles et ce, juste pour faire diversion. Oui il avait signé l’accord d’adhésion à l’EAC sans aucun référendum populaire. Oui il vient de récidiver en signant cet accord suicidaire de Nairobi sans l’aval ni du parlement congolais ni de son gouvernement. Mais pour l’intérêt supérieur du Congo, le peuple congolais n’est pas tenu d’y obtempérer …